Chapitre 5
Un saut dans l’infini

  5.0.1 Action du groupe de jauge sur l’espace des connexions
  5.0.2 L’espace des orbites
  5.0.3 Conclusion

5.0.1 Action du groupe de jauge sur l’espace des connexions

Soit AdP = P ×AdG le fibré adjoint en groupes et adP = P ×ad𝔤 le fibré adjoint en algèbres de Lie (voir le chapitre “Espaces fibrés”). On se souvient que l’ensemble des sections globales de AdP n’est autre que le groupe de jauge 𝔊 (automorphismes verticaux de P) et que l’ensemble des sections globales de adP est l’algèbre de Lie G du groupe de jauge. La fibre type de adP est une algèbre de Lie, et donc, en particulier, un espace vectoriel. Puisque adP est un fibré vectoriel, toute connexion ω sur P donne naissance à une différentielle covariante ω agissant sur les sections de adP (qui sont des transformations de jauge infinitésimales) et plus généralement à une différentielle extérieure covariante dω agissant sur G p = Ωp(M,adP).

 ∇ ω   p     p              p+1     p
d   : G  = Ω  (M, adP ) ↦→  G    = Ω  (M, adP )
Noter que Ωp(M,adP) Ω adp(P,LieG ) (voir section 3.3.10 (2)). On supposera aussi qu’il est possible de plonger le groupe structural G dans une algèbre de matrices M(n, lC), pour n assez grand et donc considérer AdP comme sous-fibrés du fibré vectoriel P ×AdM(n, lC). On peut donc également considérer la différentielle covariante ω agissant sur une transformation de jauge finie, Φ.

Soit A l’ensemble de toutes les connexions qu’on peut définir sur un fibré principal donné P = P(M,G). Il est facile de voir que le groupe de jauge 𝔊 agit sur A par “pull-back”. Soit Φ 𝔊, ω A , z P et V T(P,z). On définit ωΦ ω.Φ par

ωΦz(V ) = ωΦ(z)(Φ *(V ))

L’équivariance d’une connexion peut s’écrire, comme on le sait, en terme du potentiel de jauge, sous la forme A A= g-1Ag + g-1dg. Le second membre de cette égalité peut encore s’écrire A + g-1(dg + [A,g]) et la quantité dg + [A,g] apparaît comme une différentielle covariante g relative à la connexion choisie. De la même façon, l’action du groupe de jauge 𝔊 sur l’espace A des formes de connexion s’écrit

                    Φ                - 1 ω
(ω,Φ ) ∈ A ×  𝔊 →  ω  =  ω.Φ = ω +  Φ  ∇   Φ

Cette loi de transformation nous montre que l’ensemble A de toutes les connexions n’est pas un espace vectoriel mais un espace affine. En géométrie élémentaire, la différence de deux points est un vecteur de l’espace vectoriel sous-jacent. Il en est de même ici. L’objet Φ-1ωΦ est une 1-forme (équivariante) sur P, à valeurs dans 𝔤 = Lie(G). L’espace vectoriel sous-jacent à l’espace affine A est donc G 1. En particulier, notons que si ω 1 et ω2 désignent deux connexions, alors (ω2Φ - ω 1Φ) = (ω 2 - ω1) + Φ-1(ω2 -∇ω1)Φ.

5.0.2 L’espace des orbites

Puisqu’on a une action de groupe sur un espace, on peut étudier le quotient par cette action, c’est à dire l’espace des orbites I = A 𝔊. Il faut tenir compte, en fait, de quelques subtilités car l’action de 𝔊 n’est pas libre, en général. En d’autres termes, certaines connexions peuvent avoir des symétries : c’est le cas lorsque le sous-groupe de 𝔊 qui stabilise une connexion donnée ne se réduit pas à l’identité. Pour rendre cette action libre, il faut, soit considérer un espace des connexions plus petit (c’est à dire ne considérer que les connexions “irréductibles” pour lesquelles le stabilisateur est trivial), soit diminuer la taille du groupe de jauge (on considère le groupe de jauge pointé 𝔊x obtenu en se fixant arbitrairement un point x de M et en ne considérant que les transformations de jauge Φ telles que Φ(z) = z, pour tout z appartenant à la fibre de P au dessus de x). Moyennant ces quelques précautions, par exemple celle qui revient à ne considérer que l’action du groupe de jauge pointé, on montre que l’espace des connexions est lui-même un espace fibré principal, de groupe structural 𝔊x au dessus de l’espace des orbites, qu’on note I .

Lorsque la variété M est compacte, munie d’une métrique et qu’on a choisi également une métrique bi-invariante sur le groupe de structure G, on peut construire un produit scalaire global sur les espaces vectoriels G p ainsi qu’un laplacien généralisé. Le produit scalaire sur l’espace vectoriel G 1 (identifié avec l’espace vectoriel sous-jacent à l’espace affine A en un point quelconque ω) fait de A un espace affine euclidien (de dimension infinie, bien sûr !). On a donc une métrique sur A . Cette métrique permet de décomposer l’espace tangent T(A ) en un sous-espace vertical évident (celui qui est tangent à l’action de 𝔊) et un sous-espace horizontal défini comme étant perpendiculaire au sous-espace vertical pour cette métrique. On obtient ainsi une connexion sur le fibré A = A (I ,𝔊). La métrique sur A , étant 𝔊-invariante, permet également de définir une nouvelle métrique sur la base du fibré A = A (I , G ), c’est à dire sur l’espace des orbites I .

5.0.3 Conclusion

La géométrie riemannienne de l’espace des orbites des connexions, modulo l’action du groupe de jauge, est un sujet à la fois complexe et fascinant. Notre but, dans ce dernier chapitre n’avait d’autre but que d’entrebailler une porte Nous allons arrêter là notre escapade en dimension infinie, non sans faire un clin d’œil à la physique...bouclant ainsi la boucle. En effet, on sait que dans les théories de jauge, deux connexions qui diffèrent par une transformation de jauge décrivent la même situation physique. L’espace des champs de Yang-Mills possibles, celui sur lequel on doit intégrer lorsqu’on fait de la théorie quantique des champs “à la Feynman” est donc l’espace des orbites I . Par ailleurs, les champs de matière sont, comme on le sait, décrits par des sections de fibrés E associés à un fibré principal P = P(M,G), mais le groupe de jauge 𝔊 agit sur l’espace ΓE de ces sections et deux sections qui diffèrent par l’action du groupe de jauge sont également physiquement équivalentes. On en déduit que la physique des champs de Yang-Mills et des champs de matière qui leur sont couplés est en définitive décrite par la géométrie de l’espace fibré

ℵ  = A (I ,𝔊 ) ×  Γ E
                𝔊
Une structure analogue existe lorsqu’on s’intéresse à la gravitation quantique et qu’on veut étudier l’espace des métriques qu’il est possible de définir sur une variété différentiable donnée. Le groupe de jauge 𝔊 est alors remplacé par le groupe des difféomorphismes de M. La situation est d’ailleurs plus complexe dans ce cas.

C’est donc de la géométrie différentielle en dimension infinie qu’il faut faire pour comprendre, du point de vue quantique, la structure des théories physiques décrivant les interactions fondamentales. Il n’est pas exclu que le traitement mathématique le plus adapté à cette étude de la géométrie en dimension infinie passe par une “algébraïsation” complète des techniques de la géométrie différentielle et au remplacement de celle-ci par la géométrie non commutative (voir chapitre suivant).