Une variété topologique est tout d’abord un espace topologique, mais on suppose, de surcroît, que chacun de ses points possède un voisinage homéomorphe à un ouvert de I Rn. On dit alors que cet espace est une variété topologique de dimension n.
Intuitivement, une variété topologique de dimension 2 est un espace qui, localement, c’est à dire si on ne regarde pas trop loin, ressemble à un petit morceau de feuille de papier qu’on aurait pu découper avec des ciseaux après en avoir tracé le pourtour au crayon (on peut d’ailleurs froisser le bout de papier en question). La structure globale de cet espace peut être évidemment assez différente puisque la variété elle-même est obtenue par recollement de tous ces petits morceaux de papier. Ainsi, un pneu de bicyclette, éventuellement dégonflé, plié et “froissé” fournit un exemple d’objet physique qu’on peut modéliser à l’aide d’une variété topologique de dimension 2 : un tore.
Les variétés dont il vient d’être question n’ont pas de bord (au sens intuitif du terme). En effet, si nous nous transformons en êtres plats, rampant sur la surface d’un ballon – ou d’un pneu – nous ne sommes jamais arrêtés par une quelconque barrière. Cela ne serait pas le cas si nous nous déplacions sur la surface d’un quartier d’orange ou d’un pneu crevé (nous nous arrêterions au bord du trou !). Sans se transformer en êtres plats, cela ne serait pas le cas non plus si nous nous déplacions à l’intérieur d’une boule fermée. De façon générale, il est possible de fabriquer des “variétés à bord” en effectuant un ou plusieurs trous dans une variété sans bord (à l’aide d’une petite cuillère multi-dimensionelle !) ; la partie enlevée, comme la partie qui reste, devient une variété topologique à bord.
Pour préciser cette notion, il nous faut élargir la définition de variété que nous avons donné plus haut puisque certains des points (ceux du bord) ont un voisinage non pas homéomorphe à un ouvert de I Rn mais à un voisinage de I R +n (le fermé de I Rn formé des points dont la dernière composante est positive ou nulle).
Attention : si nous nous promenons dans une boule ouverte, nous ne pourrons jamais atteindre aucun bord... par définition d’une boule ouverte ! Une boule ouverte est une variété sans bord de dimension 3 qui est d’ailleurs homéomorphe à I R3. Par contre, une boule fermée est une variété à bord de dimension 3, les points du bords sont ceux de la sphère (une variété de dimension 2) et ils possèdent – dans la boule fermée – des voisinages particuliers. Le disque ouvert (la boule de dimension 2) est aussi une variété sans bord et le disque fermé est une variété à bord (son bord est constitué d’un cercle qu’on peut appeler également “sphère de dimension 1”. Dans le même genre, un intervalle ouvert est une variété sans bord (la boule de dimension 1) et un intervalle fermé est une variété à bord (son bord est constitué de deux points dont la réunion constitue ce qu’on peut appeler la sphère de dimension 0. Les exemples qui précèdent sont généralisables en toutes dimensions.
Terminologie : Si on ne précise pas davantage, une variété topologique est censée être une variété sans bord.
La plupart des objets mathématiques auxquels nous avons tendance à penser de prime abord sont des exemples de variétés topologiques (avec ou sans bord), et, pour cette raison, il est bon de donner quelques exemples d’espaces topologiques qui ne sont pas des variétés. Considérez par exemple une croix (réunion de deux segments d’intersection réduite à un point) ; ce n’est pas une variété car le point situé à l’intersection des deux segments possède des voisinages en forme de croix, et une croix n’est jamais homéomorphe à un ouvert de I R = I R1. Le globe impérial est un objet qu’on pourrait penser à modéliser mathématiquement par une sphère (variété de dimension 2) sur laquelle on aurait collé une croix (réunion de deux segments) Cet espace n’est pas une variété pour deux raisons. La première vient du point d’intersection des deux branches de la croix (déjà vu) et la deuxième est analogue puisque le point ou on a collé la croix sur la sphère possède des voisinages qui ne sont homéomorphes ni à des ouverts de I R1 ni à des ouverts de IR2.
Ces derniers exemples ne sont pas des variétés mais sont néanmoins obtenus par recollement de variétés... (CW complexes) Ils ne possèdent pas une dimension déterminée mais ont néanmoins une structure assez simple. On peut cependant faire bien pire... Les exemples d’espaces topologiques qui ne sont pas des variétés abondent (prenez par exemple des espaces topologiques qui ne sont pas de Haussdorf, c’est à dire qui possèdent des points qu’on ne peut pas séparer à l’aide d’ouverts disjoints). Il ne faudrait pas croire que les espaces qui ne sont pas des variétés n’ont pas d’intérêt mathématique ou physique, bien au contraire. En fait, la géométrie non commutative (dont nous ne parlerons pratiquement pas dans cet ouvrage) s’est développée en grande partie pour forger des outils permettant de “calculer” dans de tels espaces, espaces qui sont en fait complètement décrits par des algèbres associatives mais généralement non commutatives… Par ailleurs, on sait que la description mathématique de la mécanique quantique repose sur l’utilisation des algèbres d’opérateurs, ce qui explique la raison pour laquelle les phénomènes physiques relevant de cette mécanique soient si peu intuitifs puisqu’il nous faut, dans ce cas, abandonner nos notions familières de géométrie “commutative”. C’est à l’étude de cette géométrie commutative qu’est consacrée le présent ouvrage. Attention à la terminologie (mise en garde destinée au lecteur trop savant) : l’expression classique des théories de jauge non abéliennes ainsi que l’étude des groupes de Lie (en général non commutatifs), relèvent de la géométrie commutative ! Le calcul différentiel – et la physique classique – se sont développés dans le cadre des variétés et c’est pourquoi nous commençons par là. La structure de variété topologique est d’ailleurs elle-même insuffisante pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions : Il nous faudra pouvoir différentier les fonctions un nombre de fois suffisant. Pour ce faire il nous faudra supposer que les variétés (en anglais manifolds) considérées ne sont pas “froissées” : elles doivent être “lisses” (bien repassées !). Ce sont les variétés différentiables (en anglais smooth manifolds).