1.10 Orientation – Elément de volume
Déterminant – Intégration

En géométrie élémentaire, l’orientation d’un espace vectoriel réel est spécifiée par le choix d’une base B (choix ordonné d’un système libre et générateur). Le choix d’une autre base B détermine un isomorphisme g qui envoie les vecteurs de B sur les vecteurs de B. On dit que g préserve l’orientation si det g > 0 et renverse l’orientation si det g < 0. Dans le premier cas on dit que B et B ont la même orientation ; dans le second cas, B et B ont des orientations opposées. On peut alors répartir les bases de l’espace vectoriel en question en deux classes d’équivalence correspondant aux deux orientations possibles. Afin de généraliser cette discussion au cadre des variétés, il est utile de reformuler ce qui précède en terme de formes extérieures. Nous allons donc travailler avec les bases duales et poser eμ = f(eμ).

Soit B* = {e1,e2,,en} et ω = e1 e2 ⋅⋅⋅en.

Soit B* = {e1,e2,,en} avec eμ = f(eμ) et ω= f(e1) f(e2) ⋅ ⋅⋅f(en). L’espace des formes extérieures de degré n sur un espace vectoriel de dimension n est un espace vectoriel de dimension 1. Les formes ω et ωsont donc proportionnelles et le coefficient de proportionnalité n’est autre que le déterminant de f : ω= (det f)ω. Nous laissons au lecteur le soin de retrouver la définition élémentaire des déterminants en écrivant eμ = Λ μμeμ.

L’orientation de l’espace vectoriel qui était définie par le choix de B peut tout aussi bien se définir par le choix de la n-forme ω. Deux n-formes ω et ω (obligatoirement proportionnelles) définissent la même orientation si le coefficient de proportionnalité est positif et deux orientations de sens contraire si le coefficient en question est négatif. Nous pouvons maintenant passer au cas des variétés. Nous venons de voir que l’orientation, en chaque point P de M, de l’espace tangent TP M, est équivalente au (ou définie par le) choix d’une n-forme extérieure en ce point. On pourrait donc naïvement penser que, pour définir une orientation globale de la variété M, il suffit de choisir une n-forme différentiable ω. Le problème est que, si ω s’annule en un point, l’orientation cesse d’être définie en ce point ! Pour pouvoir parler d’orientation de façon globale, il faut donc qu’il soit possible de choisir une n-forme différentielle sur M qui ne s’annule nulle part. Ceci n’est pas toujours possible : on dit que la variété est orientable ou non orientable suivant les cas. Tout le monde connaît l’exemple fameux du ruban de Moebius ou de la bouteille de Klein.

On appelle “élément de volume” sur M le choix d’une n-forme ω sur M qui ne s’annule nulle part (ce qui suppose, par définition, que M soit orientable). On note [ω] l’ensemble des éléments de volume proportionnels à ω, avec un coefficient de proportionnalité positif et [-ω] l’ensemble des éléments de volume proportionnels à ω, avec un coefficient de proportionnalité négatif. Une variété orientable possède donc deux orientations possibles, l’une quelconque d’entre elles étant caractérisée par le choix d’un élément de volume appartenant à l’une des deux classes possibles. Soient maintenant M et N deux variétés différentiables de même dimension n et f un difféomorphisme de M dans N ; on suppose M et N orientables et orientées par le choix des éléments de volume ωM et ωN. On dit que f préserve l’orientation si et seulement si ←-
 f(ωN) [ωM] et renverse l’orientation si ←-
f(ωN) [-ωM].

1.10.1 Orientation – Partition de l’unité

Notre but, dans ce paragraphe, est d’introduire la notion d’intégration des formes différentielles. Comme d’habitude, on va commencer par définir cette notion pour l’espace numérique I Rn, puis, grâce à un système de cartes, on va pouvoir généraliser la construction au cas des variétés. On suppose le lecteur familier avec la notion d’intégrale (de Riemann) sur I Rn. Soit f une fonction (numérique) c’est-à-dire une fonction – que nous supposons différentiable – de I Rn à valeurs réelles. Nous supposons, de plus, que f est à support compact. Son intégrale est notée I Rnf ou I Rnf(x)dnx, comme d’habitude. Choisissons maintenant une orientation sur I Rn et considérons la n-forme

            1     2          n
ω =  f(x)dx  ∧ dx  ∧ ⋅⋅⋅ ∧ dx
dx1 dx2 ⋅⋅⋅dxn est une n-forme positive pour l’orientation choisie. On pose simplement
∫      ∫
  ω =       fdnx
        IRn
Notons que la définition du membre de gauche dépend de l’orientation choisie ; en d’autres termes, on peut identifier les deux notations et concepts en posant
 n      1     2          n
d x = dx  ∧ dx  ∧ ⋅⋅⋅ ∧ dx
mais il faut bien noter que l’identification des notations dépend du choix d’une orientation car l’intégrale d’une n-forme dépend de l’ordre x1,x2,,xn alors que l’intégrale de Riemann d’une fonction f n’en dépend pas. Soit T un difféomorphisme de I Rn, c’est-à-dire un changement de variables xμ T
→yμ.

Notre étude générale des formes différentielles implique en particulier

  1     2          n          1     2          n
dx  ∧ dx  ∧ ⋅⋅⋅ ∧ dx = J (T)dy  ∧ dy  ∧ ⋅⋅⋅ ∧ dy
J(T) = det(∂xμ∕∂yν) est le jacobien (le déterminant de la matrice jacobienne) de l’application T. On a donc
∫                       ∫
   f(x)dx1 ∧ ⋅⋅⋅ ∧ dxn =   f (T -1(y))J(T )dy1 ∧ ⋅⋅⋅ ∧ dyn
Mais on sait bien que
∫             ∫
   f(x)dnx =    f (T- 1(y ))|J(T )|dny
Donc si ←-
Tω désigne l’image réciproque de ω, on voit que ←-
Tω = ± ω suivant que T préserve ou non l’orientation : l’intégrale d’une n-forme est invariante sous le groupe des difféomorphismes qui préservent l’orientation. Passons maintenant au cas des variétés. Soit M une variété de dimension n et ω une n-forme à support compact. Supposant la variété orientable, on choisit une orientation [M] et une partition de l’unité {ρα}αI subordonnée à un atlas {(Uαα)}αI, c’est-à-dire qu’on se donne une famille de fonctions différentielles non négatives ρα telles que le support de ρα soit contenu dans Uα et telles que ρα = 1 (chaque point de M doit posséder un voisinage dans lequel la somme précédente est une somme finie). L’existence d’une telle partition de l’unité, pour une variété différentiable, est un théorème (que nous ne démontrons pas) qui permet, dans de nombreux cas, de passer des résultats locaux (valables dans une carte) aux résultats globaux (valables pour toute la variété M). On définit l’intégrale de ω sur [M] par l’égalité
∫        ∑  ∫
    ω =         ρα ω
 [M]      α   Uα
où la quantité Uαραω signifie en fait I Rn(φα-1)*(ρ αω) pour une trivialisation locale φα : Uα I Rn préservant l’orientation. On se ramène ainsi au cas de IRn.

L’orientation étant choisie une fois pour toutes, on note M et non plus [M] l’intégrale correspondante. Il reste alors à démontrer que la définition adoptée ne dépend pas des cartes choisies. . .

On appelle élément de volume sur M (de dimension n) ou forme volume un élément quelconque ϵ de ΩnM. Le volume de M, supposée compacte, est alors égal, par définition, à Mϵ. Il faut bien noter que sur une variété quelconque (orientée), on intègre des n-formes, et non des fonctions, à moins, précisément, d’avoir choisi un élément de volume ϵ une fois pour toutes, auquel cas on peut évidemment poser Mf = Mf C(M). Un cas particulièrement important à considérer est celui où la forme volume est associée canoniquement au choix d’une structure riemannienne (voir section 1.11) sur la variété en question.