Dans le cadre commutatif, étant donné une variété M, nous avons décrit, de façon détaillée, une algèbre différentielle graduée, en l’occurence, celle, notée Λ(M) des formes différentielles : le “complexe de De Rham”. Cette algèbre est différentielle (puisque munie d’une différentielle d) et différentielle graduée puisque d envoie Λp(M) dans Λp+1(M). De plus, elle est telle que Λ0(M) = C∞(M). Comme nous le verrons un peu plus bas, le lecteur devrait se garder de croire qu’il s’agit là de la seule possibilité.
Dans le cadre non commutatif, nous supposons donnée une algèbre
associative , unitale pour simplifier, mais non nécessairement commutative.
va remplacer, dans la construction, l’algèbre commutative C∞(M),
c’est à dire, “philosophiquement”, l’espace M lui-même. On veut pouvoir
associer à
une algèbre différentielle graduée Ω, qui coïncide avec
en
degré zéro. Les éléments de Ω vont remplacer les formes différentielles
usuelles. On pourrait dire que ce sont des formes différentielles quantiques
.
Nous cherchons à fabriquer une algèbre différentielle graduée qui, en degré
zéro, coïncide avec . En fait, il existe de nombreuses possibilités, chaque
possibilité définit ce qu’on appelle un calcul différentiel sur l’algèbre
.
Cependant, une de ces possibilités est plus générale que les autres, en un sens que
nous allons préciser. C’est celle qu’on désigne sous le nom d’algèbre Ω
des
formes universelles.
Soit une algèbre associative unitale. On veut construire une algèbre
différentielle Z Z-graduée (Ω
,δ) qui soit “la plus générale possible”, et qui soit
telle que Ω
0 =
. Etre “la plus générale possible” signifie que tout autre algèbre
du même type pourra s’obtenir à partir de celle-ci en imposant des relations
supplémentaires. Techniquement, cela revient à dire que si (Ξ,d) est une autre
algèbre différentielle Z Z-graduée, avec Ξ0 =
, alors, c’est qu’il existe un
morphisme α (morphisme d’algèbre différentielle graduée) de Ω
sur Ξ tel que
l’algèbre (Ξ,d) apparaisse comme un quotient de l’algèbre des formes universelles
(Ω
,δ) :
On part de . Désignons les éléments de
par des symboles ap. On introduit
alors de nouveaux symboles qu’on va désigner par δap. Attention, pour l’instant, δ
n’est pas (encore) un opérateur : le symbole δap doit être pris comme un tout :
c’est une copie de l’élément ap. L’espace vectoriel engendré par les symboles δap
est simplement une copie de l’espace vectoriel
. Ensuite, on fabrique des mots,
en concaténant librement des éléments de
(donc des ap) et des éléments du
type δaq. Ainsi a0δa1a2a3δa4δa5a6 est un mot. On décide alors d’additionner et de
multiplier librement ces mots de façon à ce que la structure obtenue soit une
algèbre. Jusque là, on n’obtient rien de très palpitant : juste une algèbre “libre”
engendrée par des symboles. Pour finir, on va imposer des relations : celles de
, tout d’abord, mais surtout, les deux suivantes (pour tout a,b dans
) :
On pourrait, bien entendu, formaliser la construction ci-dessus, en terme
d’idéaux et de relations, mais, le résultat est, somme toute, très simple : on part
des éléments a de et on introduit des différentielles δa (attention, ce ne sont
pas des éléments de
) de façon à ce que la règle de Leibniz (la règle de
dérivation d’un produit) soit vérifiée.
Les règles ci-dessus permettent de re-écrire n’importe quel élément de Ω
sous la forme d’une combinaison linéaire de termes du type a0δa1δa2…δap où tous
les ai sont des éléments de
et où le seul élément qui n’est pas différentié (a0) se
situe à gauche. En effet, par exemple
Le fait que l’algèbre différentielle Ω soit universelle vient du fait que, dans sa
construction, nous n’avons rien imposé d’autre que la règle de Leibniz
ainsi que les relations algébriques déjà présentes dans
. Tout autre
algèbre différentielle construite sur
contiendra donc automatiquement des
relations supplémentaires. Soit (Ξ,d) une autre algèbre différentielle,
également associée à
, on sait qu’il doit alors exister un morphisme α de Ω
dans Ξ, ce morphisme est simplement défini sur les éléments de base, par
α(a0δa1δa2…δap) = a0da1da2…dap et étendu par linéarité sur toute l’algèbre
Ξ.
La construction précédente est simple et, en principe suffisante. Cela dit, il est agréable de pouvoir considérer δa comme un objet construit concrètement “à partir” de a et non comme un symbole abstrait. Voici donc une seconde construction de l’algèbre des formes universelles qui répond à ce souci.
Soit m : ⊗
, l’opérateur de multiplication m(a ⊗ b) = ab.
Posons Ω0 =
On décide de noter (prenons a et b dans
) :
Soit Ω1 l’espace vectoriel engendré par les éléments de
du type aδb.
Notons que aδb appartient au noyau de l’opérateur de multiplication
m(aδb) = ab - ab1 l = 0. Plus généralement, il est évident que les éléments de
Ker(m) sont des combinaisons linéaires d’éléments de ce type. En d’autres
termes, on a
On pose alors
Soit M une variété différentiable, ou même, un ensemble absolument quelconque.
On peut alors construire l’algèbre commutative des fonctions sur M (bien
entendu, lorsque M est un espace topologique, ou une variété différentielle, on
peut choisir les fonctions continues, les fonctions différentiables etc). Notons
encore cette algèbre, sans préciser davantage. La construction de Ω
reste
valable, puisque nous n’avons rien eu a supposer d’autre que l’associativité de
l’algèbre
. Considérons l’élément
Remarque : lorsque M est discret, il est d’usage d’identifier, comme nous venons de le faire, l’algèbre des fonctions Fun(M × M… × M) du produit cartésien de l’espace M par lui-même avec l’algèbre produit tensoriel Fun(M) ⊗ Fun(M) ⊗…Fun(M). Lorsque M est un espace topologique (en particulier une variété), on n’a, en général, qu’une inclusion stricte de Fun(M) ⊗ Fun(M) ⊗…Fun(M) dans Fun(M × M… × M), et il faudrait tenir compte de la topologie utilisée pour pouvoir préciser davantage. Nous ne tiendrons pas compte de cette subtilité topologique dans ce qui suit.
Considérons maintenant un élément de Ω2 :
Cet élément peut donc s’interpréter comme une fonction de trois variables, qui s’annule lorsque x = y ou lorsque y = z (mais pas lorsque x = z).
Plus généralement, les élements de Ωp peuvent être considérés comme des
fonctions de p + 1 variables qui s’annulent lorsque deux arguments successifs sont
égaux.
On voit que δb désigne bien ici la différence discrète b(y) - b(x). Lorsque M est une variété différentiable, on peut faire tendre y vers x et obtenir ainsi la forme différentielle usuelle db(x) = ∂b _ ∂xμdxμ. La théorie générale s’applique évidemment dans ce cas particulier : ΩpC∞(M) est une algèbre différentielle universelle mais il existe par ailleurs une algèbre de formes différentielles (ΛM,d) que nous connaissons bien (le complexe de De Rham), il existe donc un morphisme α de la première algèbre sur la seconde. Ce morphisme envoie a0δa1δa2… (dans le cas présent a0(x)(a1(y) - a1(x))(a2(z) - a2(y))…) sur la forme différentielle a0da1 ∧ da2….
Notons que le noyau de ce morphisme est très gros. D’une part, on sait que lorsque p > dim(M), ΛpM = 0, alors que ΩpC∞(M) n’est jamais nul (quel que soit p). Par ailleurs, même si p ≤ dim(M) il est facile de trouver des éléments de ΩC∞(M) qui s’envoient sur zéro : par exemple, l’élément aδ(bc) - abδc - caδb n’est certainement pas nul dans Ω1C∞(M), alors que ad(bc) -abdc-cadb est nul dans Λ1M.
L’exemple qui nous venons de considérer montre bien que cette algèbre différentielle de De Rham, dont nous avons l’habitude, est loin d’être la seule possible, même dans le cadre commutatif, lorsqu’on veut définir un calcul différentiel. L’inconvénient de l’algèbre des formes universelles, c’est qu’elle est généralement très (trop) “grosse” et peu maniable. Cependant, il est des cas, même commutatifs, où l’algèbre de De Rham n’est pas utilisable — par exemple lorsque M n’est pas différentiable — et il est bien pratique de pouvoir faire appel à la dernière construction. Un autre cas interessant est celui d’une variété M qui n’est pas connexe : on peut alors, bien sûr, faire du calcul différentiel “à la De Rham” sur chaque composante connexe, mais, ce faisant, on perd de l’information, car les formes universelles non nulles du type aδb[x,y] où x et y appartiennent à deux composantes connexes distinctes n’ont aucune correspondance dans l’algèbre de De Rham. Pour illustrer ce phénomène, qui se trouve posséder une interprétation physique aussi bien inattendue que capitale, nous allons choisir l’exemple d’un espace non connexe extrêmement simple : celui fourni par la donnée de deux points. Dans ce cas, les 1-formes usuelles (celles de De Rham) n’existent pas. Par contre, on va pouvoir construire et utiliser l’algèbre des formes universelles Ω = Ω(lC ⊕ lC).
Considérons donc un ensemble discret {L,R} constitué de deux éléments que
nous désignons par les lettres L et R (penser a Left et Right). Soit x la fonction
coordonnée x(L) = 1,x(R) = 0 et y la fonction coordonnée y(L) = 0,y(R) = 1.
Remarque : xy = yx = 0, x2 = x,y2 = y and x + y = 1 l où 1 l est la fonction unité
1l(L) = 1, 1 l(R) = 1. Un élément quelconque de cette algèbre associative (et
commutative) engendrée par x et y peut s’écrire λx + μy (où λ et μ sont deux
nombres complexes) et peut être représenté par une matrice diagonale
. On peut écrire
= lCx ⊕ lCy. L’algèbre est donc isomorphe à
lC ⊕ lC. Nous introduisons maintenant deux symboles δx,δy, ainsi qu’une
différentielle δ qui satisfait à δ2 = 0, qui doit satisfaire à δ1 l = 0 et à la règle
habituelle de dérivation d’un produit (règle de Leibniz). Il est évident
que Ω1, l’espace des différentielles de degré 1 est engendré par les deux
quantités indépendantes xδx and yδy. En effet, la relation x + y = 1 l
implique δx + δy = 0 ; de plus, les relations x2 = x and y2 = y impliquent
(δx)x + x(δx) = (δx), donc (δx)x = (1 l - x)δx and (δy)y = (1 l - y)δy. Ceci
implique également, par exemple, δx = 1 lδx = xδx + yδx, xδx = -xδy,
yδx = (1 l - x)δx, (δx)x = yδx = -yδy etc . Plus généralement, désignons
par Ωp, l’espace des différentielles de degré p ; les relations ci-dessus
montrent qu’une base de cet espace vectoriel est fourni par les éléments
{xδxδx…δx,yδyδy…δy}. Posons Ω0 =
et Ω = ⊕
pΩp. L’espace Ω est une
algèbre : on peut multiplier les formes librement, mais il faut tenir compte de la
règle de Leibniz, par exemple x(δx)x(δx) = x(1 l -x)(δx)2. Attention : l’algèbre Ω
est de dimension infinie, comme il se doit puisque p parcourt toutes les
valeurs de 0 à l’infini. Bien entendu, la différentielle δ obéit à la règle de
Leibniz lorsqu’elle agit sur les éléments de
mais elle obéit à la règle de
Leibniz graduée lorsqu’elle agit sur les éléments de Ω, en l’occurence
δ(ω1ω2) = δ(ω1)ω2 + (-1)∂ω1ω
1δ(ω2) où ∂ω1 désigne 0 ou 1 suivant que ω1 est
pair ou impair.
Dans le cas particulier de la géométrie d’un ensemble à deux points, {L,R}
nous retrouvons le fait qu’un élément A de Ω1 considéré comme fonction de deux
variables doit obéir aux contraintes A(L,L) = A(R,R) = 0 et peut donc être
écrit comme une matrice 2 × 2 indexée par L et R dont les éléments non
diagonaux sont nuls (“matrice hors diagonale”). Un élement F de Ω2 peut être
considéré comme fonction de trois variables obéissant aux contraintes
F(L,L,R) = F(R,R,L) = F(L,R,R) = F(R,L,L) = F(R,R,R) = F(L,L,L) = 0.
Les deux seules composantes non nulles sont donc F(L,R,L) and F(R,L,R). Le
fait que dim(Ωp) = 2 pour tout p suggère la possibilité d’utiliser des matrices de
taille fixe (en l’occurence des matrices 2 × 2) pour toutes valeurs de p. Ceci ne
serait pas le cas pour une géométrie à plus de deux points. En effet, on peut
aisément généraliser la construction précédente, par exemple en partant de trois
points au lieu de deux. Mais dans ce cas, Ω1 est de dimension 6 et Ω2 de
dimension 12. Avec q points, la dimension de Ωp est q(q - 1)p. Ce dernier résultat
vient du fait que dim(⊗
) - dim(Ker(m)) = dim(
). On a donc
dim(Ω1) = q2 - q.
Pour revenir au cas de la géométrie à deux points, nous voyons qu’il est
possible de représenter λx(δx)2p + μy(δy)2p comme une matrice diagonale
et l’élément αx(δx)2p+1 + βy(δy)2p+1 comme la matrice “hors” diagonale
Autrement dit nous pouvons représenter les formes paires par des
matrices paires (i.e. diagonales) et les formes impaires par des matrices impaires
(i.e. “hors” diagonales) ; ceci est non seulement naturel mais obligatoire si on
veut que la multiplication des matrices soit compatible avec la multiplication dans
Ω. En effet, les relations
Nous verrons un peu plus loin qu’il est possible, en géométrie non
commutative, de donner un sens à la notion de connexion. Dans le cas le plus
simple, la forme de connexion A n’est autre qu’une forme de degré 1 appartenant
à une algèbre différentielle (Ξ,δ) associée à l’algèbre associative choisie. On
verra que la courbure F, dans ce cas, peut également s’écrire comme
F = δA + A2.
Dans le cas présent, Ξ = Ω. Une forme de degré 1 est un élément de Ω1. Prenons A = (φxδx + yδy). La représentation matricielle de A se lit donc
Notre calcul différentiel, dans le cas présent, est commutatif, puisque l’algèbre des fonctions sur un espace à deux points est simplement l’algèbre des matrices diagonales 2 × 2 avec des coefficients complexes (ou réels) mais notre calcul différentiel est, en un sens, “non local” puisque la “distance” entre les deux points étiquetés par L et R ne peut pas tendre vers zéro…Le lecteur aura sans doute remarqué que ces résultats peuvent s’interpréter en termes de champs de Higgs. Nous y reviendrons (exemple poursuivi en 6.2.4).
Rappelons (relire 1.10.1) que
Classiquement, une forme différentielle ω est une n-forme sur l’algèbre de Lie des champs de vecteurs, antisymétrique, linéaire par rapport aux scalaires, bien sûr, mais aussi linéaire par rapport aux fonctions, et à valeur dans les fonctions.
On va définir ici les formes différentielles comme des objets qui soient des
n-formes sur l’algèbre de Lie des dérivations de , antisymétrique, linéaire par
rapport au scalaires, bien sur, mais aussi linéaire par rapport au centre
(A) de
et à valeurs dans l’algèbre
.
En d’autres termes, on pose
Cette définition est due à [6]
C’est une algèbre différentielle graduée avec un produit défini par
En particulier, pour une 1-forme da (agissant sur la dérivation v) on a simplement
On peut immédiatement vérifier que d est alors une dérivation graduée de
degré 1 sur l’algèbre ΩDer() et que d2 = 0.
Les définitions qui précèdent sont tout à fait naturelles puisque ce sont
exactement les mêmes que pour les différentielles habituelles (rappelons encore
une fois que, dans le cas usuel de la géométrie ”commutative”, les dérivations
d’algèbres vk de l’algèbre = C∞(M) ne sont autres que les champs de
vecteurs).
En utilisant la règle de Leibniz, on voit qu’un produit quelconque d’éléments
de a et de différentielles (du type da) peut se réordonner sous la forme
d’une somme de termes du type a0da1…dan. Cela dit, il y a une petite
subtilité : avec la définition que nous avons adoptée, il n’est pas clair que tout
élément de ΩDer puisse s’écrire comme une somme finie d’éléments
de ce type. Ceci conduit à introduire la définition suivante : on pose
ΩDer
= ⊕
n=0∞Ω
Dern
où Ω
Dern
est le sous-espace vectoriel de Ω
Dern
constitué des sommes finies du type a0da1…dan. On démontre alors [6] que ΩDer
est la plus petite sous algèbre différentielle graduée de ΩDer
contenant
.
En général, on peut oublier cette distinction entre ΩDer et ΩDer. Dans le cas
de la géométrie des variétés (variétés connexes ou réunion dénombrables de
variétés connexes), on peut démontrer que les deux notions coïncident lorsque la
variété M est paracompacte. Cela qui revient à dire que la variété admet une
base topogique dénombrable…(et dans ce cas elle admet également un atlas
comprenant au plus une infinité dénombrable de cartes). Pour des variétés
paracompactes, donc (hypothèse qu’on fait presque toujours !), les deux notions
coïncident et coïncident évidemment avec l’algèbre des formes différentielles
usuelles (ceci découlant immédiatement de l’identité entre les définitions
ci-dessus et celles qu’on peut trouver en 1.6.2). Lorsque l’algèbre n’est pas
commutative, on aura également les deux possibilites : ΩDer
et ΩDer
qui
peuvent coïncider ou non. Le cas le moins “sauvage” est évidemment
celui où les deux notions coïncident (analogue non commutatif du cas
paracompact). Dans la suite de cette section, on supposera que c’est le
cas.
Remarque : il existe des algèbres très simples qui n’admettent pas de dérivations…par exemple l’algèbre des nombres complexes ! Dans ce cas, la construction qu’on vient d’exposer ne donne rien (bien que l’algèbre des formes universelles soit néanmoins non triviale).
Soient et
deux algèbres associatives (commutatives ou non). Il est
certain que l’algèbre des formes universelles pour l’algèbre
⊗
n’est pas
isomorphe au produit tensoriel gradué des algèbres universelles de
et
séparément.
Supposons maintenant que qu’on s’intéresse à une variété non connexe
obtenue comme réunion (disjointe) de plusieurs copies (deux pour simplifier)
d’une même variété connexe M. On se retrouve donc dans la situation précédente
avec = C∞(M) et
= lC ⊕ lC. En effet
⊗
= C∞(M) ⊕ C∞(M). L’algèbre
différentielle Ω(C∞(M)) ⊗ Ω(lC ⊕ lC) est encore peu commode à utiliser (on se
souvient que les éléments de Ω(C∞(M)) sont des fonctions de plusieurs variables
qui s’annulent lorsque deux arguments successifs sont égaux). Par contre, rien
ne nous interdit de remplacer cette dernière par l’algèbres des formes
différentielles usuelles ΛM. On obtient ainsi le diagramme suivant, où
chaque flèche désigne un morphisme surjectif d’algèbres différentielles
graduées :
L’algèbre
On pourrait ici continuer notre exemple des connexions sur lC ⊕ lC, en choisissant cette fois-ci pour forme de connexion un élement quelconque de Ξ1. La norme carré de la courbure s’interprète alors physiquement comme le lagrangien d’un modèle de jauge U(1) × U(1), avec potentiel de Higgs et symmétrie brisée. Un des deux champs de jauge devient massif (le boson Z0) et l’autre reste sans masse (le photon).
La construction qui suit est un peu plus élaborée que les précédentes, en ce sens
qu’elle utilise un plus grand nombre d’ingrédients. On a vu que la construction de
l’algèbre des formes différentielle universelle Ω() était possible, pour une algèbre
associative quelconque
. L’algèbre différentielle ΩDer(
), quant à elle, fait jouer
un rôle particulier aux dérivations de
(pour autand qu’elles existent). L’algèbre
différentielle que nous allons présenter maintenant, et dont la construction est due
à A. Connes, repose sur la donnée d’un “triplet spectral”, donnée qui englobe,
non seulement l’algèbre associative
elle-même, mais également d’autres
données qui peuvent être considérées comme le codage d’une structure
riemannienne non commutative. Certains rappels et/ou constructions annexes
sont nécessaires.
Dans l’approche traditionnelle de la géométrie différentielle, on commence par se donner un espace M (on peut alors parler de l’algèbre des fonctions sur M), on le munit tout d’abord d’une topologie (on peut alors parler de l’algèbre C0(M) des fonctions continues sur M), puis d’une structure différentiable (ce qui revient à choisir une sous-algèbre particulière C∞(M) incluse dans dans C0(M)), puis d’une structure riemannienne (choix d’une métrique), puis d’une structure spinorielle (si la variété le permet), on construit alors le fibré des spineurs, puis l’opérateur de Dirac relatif à la métrique choisie et agissant sur les champs de spineurs (sections du fibré des spineurs). Dans le cas d’une variété compacte et d’une métrique proprement riemannienne, on peut alors fabriquer un produit scalaire global et un espace de spineurs (l’espace L2 des champs de spineurs de carré intégrable). Dans le cas où la variété est de dimension paire, on peut également décomposer cet espace de Hilbert en deux sous-espaces supplémentaires correspondant à des demi-spineurs de chiralités opposées, l’opérateur de Dirac allant d’un sous-espace à l’autre (on rappelle que cet opérateur anti-commute avec l’opérateur de chiralité).
Tout ceci est maintenant bien connu du lecteur (voir chapitres précédents). L’approche “à la A. Connes” [3] de la géométrie non commutative consiste à “renverser la vapeur” en écrivant tout ceci à l’envers, et sous forme algébrique (en utilisant des algèbres commutatives), puis de promouvoir l’essentiel de ces transcriptions au rang de définitions, en effaçant l’adjectif “commutatif”.
La théorie se divise alors en deux : il existe un cas dit “pair” et un cas dit
“impair”. Nous allons simplement ébaucher la discussion du cas pair, cas qui
généralise au cas non commutatif la géométrie associée à la donnée d’un
opérateur de Dirac sur une variété de dimension paire. On se donne un
triplet (,
,D) possédant les propriétés suivantes :
est un espace de
Hilbert Z Z2 gradué (l’opérateur de graduation est alors appelé opérateur de
chiralité),
est une algèbre associative munie d’une involution (*) et
représentée fidèlement dans
à l’aide d’opérateurs bornés pairs, et D est
un opérateur auto-adjoint tel que les commutateurs [D,a],a ∈
soient
bornés ; on impose également à la résolvente (D + i)-1 d’être un opérateur
compact.
Un tel triplet est appelé triplet spectral mais on pourrait peut-être, de façon
plus imagée, le désigner sous le nom d’espace riemannien quantique. Dans le cas
de la géométrie commutative, coïnciderait avec la complexifiée de l’algèbre
C∞(M),
avec l’espace de Hilbert L2(
) des champs de spineurs de carré
intégrable, et D avec l’opérateur de Dirac lui-même.
Dans le cas classique (commutatif), si on n’impose pas de propriété
de compacité pour la résolvente de D, l’algèbre (qui est telle que les
commutateurs de ses éléments avec D soient bornés) n’est autre que l’algèbre des
fonctions Lipschitziennes sur M, c’est à dire celle dont les éléments sont tels que
|f(x) - f(y)|≤ cd(x,y),∀x,y ∈ M.
Dans ce cadre commutatif, il se trouve qu’il est en fait possible de retrouver la distance riemannienne d(x,y) entre deux points quelconques x et y de M à partir de ces données. En effet, on montre que
Nous avons maintenant tout ce qu’il nous faut pour construire l’algèbre
différentielle ΩD(). Nous savons déjà construire l’algèbre des formes universelles
Ω(
). Soit ω = a0δa1δa2…δan, une n-forme universelle (un élément de Ωn(
)).
Nous lui associons l’opérateur borné
Nous n’irons pas plus avant dans cette direction. Le lecteur interessé pourra consulter une litérature plus spécialisée. Cela dit, il est peut-être important de signaler ici que les constructions mathématiques présentées dans cette section — et même dans le présent chapitre — sont souvent récentes, ce qui signifie que les définitions et constructions proposées n’ont peut être pas encore suffisemment bénéficié du mûrissement nécessaire. Cela ne signifie pas qu’elles sont erronées mais elles n’ont peut être pas atteint le même degré de stabilité temporelle que les autres concepts présentés auparavant dans cet ouvrage.