1.3 Applications différentiables, difféomorphismes

1.3.1 Définition

Soient M et N deux variétés différentiables de dimensions respectives m et n. Une application différentiable ϕ de M dans N est une application qui peut s’écrire localement à l’aide d’une application différentiable (encore notée ϕ) de I Rm dans I Rn. En d’autres termes, si on a Q N = ϕ(P) avec P M, alors, grâce au choix de cartes P Ui M xμ(P) I Rm et Q V i N yν(Q) I Rn, on pourra écrire (et on écrira !) y = ϕ(x) ce qui signifie, en fait yν(Q) = ϕ(xμ(P)). L’ensemble des applications différentiables de M dans N se note C(M,N).

Petite parenthèse sur le problème des notations en mathématiques : Il est important de comprendre la signification de ce qu’on écrit, mais il est (de l’avis de l’auteur) absurde de vouloir que la notation utilisée nous rappelle à tout moment les différents abus d’écriture commis depuis le chapitre 1 du tome 1 de Bourbaki et sans lesquels il n’est pas de calcul possible !

L’application ϕ (celle qui va de M dans N) est donc caractérisée – les cartes étant choisies – par n fonctions différentiables yν de m variables xμ. Il est alors naturel de considérer la matrice jacobienne de cette application, c’est à dire la matrice rectangulaire m × n des dérivées partielles ∂yν ∂xμ. Nous en reparlerons un peu plus tard.

1.3.2 Difféomorphismes et changements de coordonnées

Il existe deux cas particuliers particulièrement intéressants.

Le premier est celui où M et N coïncident. Dans ce cas, il peut se faire que l’application différentiable ϕ soit non seulement différentiable mais encore bijective et que son inverse soit également différentiable. On dit alors que ϕ est un difféomorphisme. Notons qu’une application différentiable est automatiquement continue et que, par conséquent, un difféomorphisme est automatiquement un homéomorphisme. Il est facile de vérifier que l’ensemble des difféomorphismes d’une variété différentiable M constitue un groupe pour la composition des applications. On note ce groupe Diff(M) C(M,M) ; c’est un sous groupe de l’ensemble Hom(M) C0(M,M) des homéomorphismes de M. Notons qu’il existe une correspondance assez subtile entre difféomorphismes d’une part – qui sont des transformations que l’on appelait autrefois “actives” car elles transforment les points de M en d’autres points de M – et changements de coordonnées – qui sont des transformations que l’on appelait autrefois “passives” car elles ne transforment pas les points de M mais résultent seulement d’un changement de carte.

Il est à peu près évident que ces deux notions coïncident dans le cas où M est l’espace I Rn lui-même (muni de la structure différentiable définie par une unique carte canonique, l’application identique). Examinons de plus près le cas général. Les cartes étant elles-mêmes des difféomorphismes locaux entre ouverts de M et ouverts de I Rn, effectuer un changement de carte (changement de système de coordonnées) se traduit par un difféomorphisme local y(x) de I Rn. Par contre, un difféomorphisme de M est, par définition, une notion globale qui se traduit elle-aussi, après choix de cartes, par un difféomorphisme local de I Rn. L’équivalence des points de vue “actifs” et “passifs” n’existe donc que pour I Rn et il semble préférable d’éviter cette terminologie. Une idée physique fondamentale, à la base de la théorie de la relativité générale est que les équations de la physique doivent pouvoir s’écrire de façon tout à fait indépendante de l’observateur, quelle que soit l’état de mouvement de ce dernier. Traduite en termes de coordonnées, ce “Principe de Relativité Générale” a souvent été exprimé de par le passé comme affirmant l’indépendance des lois de la physique par rapport aux changements de systèmes de coordonnées. Une telle affirmation manque de précision, dès lors qu’on travaille sur une variété quelconque et non sur un espace numérique. Il semble d’ailleurs qu’A. Einstein lui-même n’ait jamais pu exprimer correctement ce principe de façon vraiment précise et moderne (cela n’enlève rien à son génie !). Le principe en question peut s’énoncer ainsi : l’espace-temps étant décrit par une variété différentiable, les lois de la physique doivent être invariantes sous l’action du groupe des difféomorphismes de cette variété.

1.3.3 Fonctions différentiables

La deuxième classe de cas particuliers intéressants est celle où l’application différentiable considérée ϕ, de M dans N est définie sur une variété quelconque M, mais ou N coïncide avec l’ensemble I R des nombres réels. Les applications différentiables en question sont désignées sous le nom de fonctions différentiables sur M  ; l’utilisation du mot “fonction” est en accord avec les habitudes terminologiques anglaises, où les applications quelconques sont des “maps” , mais où les applications à valeurs réelles (ou complexes) sont des “functions”. L’ensemble des fonctions différentiables sur M se note C(M) = C(M, I R).

Remarque : l’ensemble des fonctions différentiables C(M) est une algèbre pour l’addition des fonctions [f + g](x) = f(x) + g(x), la multiplication des fonctions définie (ponctuellement) par [fg](x) = f(x)g(x) et l’opération externe de multiplication par un nombre réel. C’est une sous-algèbre de l’algèbre commutative C0(M).

Le lecteur peut s’étonner de la présence et de la signification de l’indice supérieur 0 ou dans les notations C0(M) ou C(M). Cet indice se réfère à l’ordre de différentiabilité supposé des fonctions appartenant à l’ensemble considéré. On pourrait bien entendu considérer des ensembles tels que Cp(M) constitués de fonctions qui sont, au moins, p fois différentiables. Dans la suite de cet ouvrage, cependant, nous nous limiterons aux cas p = 0, c’est à dire les fonctions continues (qui peuvent évidemment être différentiables ou non) et p = , c’est à dire les fonctions infiniment différentiables.