3.5 Changement de groupe structural dans les fibrés principaux : extension et quotient

Les deux sous-sections précédentes étaient, en quelque sorte, complémentaires, les deux qui suivent le seront aussi.

3.5.1 Extension (passage de G à ^G avec G ~G^|H)

Méthode générale

Le problème est le suivant : on part d’un espace fibré P = P(M,G) et on veut remplacer le groupe structural G par un groupe G^ tel que G soit isomorphe à G^∕H H est un sous-groupe distingué de ^G. Le cas le plus fréquent est celui où G est un groupe qui n’est pas simplement connexe et où on veut le remplacer par son groupe de recouvrement universel ^G. H est alors un sous-groupe discret du centre de G^ et s’identifie au groupe d’homotopie π1(G) (voir le chapitre sur les groupes). Pour illustrer cette situation, voici un exemple dont l’importance physique est importante. La variété différentiable M est un modèle pour l’espace-temps et P désigne le fibré des repères orthonormés correspondant au choix d’une certaine métrique sur M. Certains champs de matière vont être représentés par des sections de fibrés associés à P. Ces fibrés seront construits à partir de représentations du groupe SO(n) (en physique quadri-dimensionelle, généralement SO(3, 1) ou SO(4)). Dans bien des cas, cependant, les champs de matière qui nous intéressent ne correspondent pas vraiment à des représentations de SO(n) mais à des représentations de son groupe de recouvrement universel Spin(n) c’est à dire Spin(3, 1) = SL(2, lC) si G = SO(3, 1) et Spin(4) = SU(2) × SU(2) si G = SO(4). On se souvient en effet que les représentations de G peuvent également être considérées comme des représentations de ^G mais que certaines représentations de ^
G ne correspondent à aucune représentation de G (ainsi, les spins demi-entiers correspondent à des représentations de SU(2) mais pas à des représentations de SO(3)). Lorsque la topologie de M et triviale, le fait de “considérer des spineurs” n’offre aucune difficulté ; les choses changent lorsque M cesse d’être trivial : en d’autre termes, il existe des espaces qui n’admettent pas de spineurs ! A l’opposé, il existe des espaces qui admettent plusieurs types de spineurs. Nous discuterons de nouveau de ces problèmes un peu plus loin.

Revenons à un cadre plus général. On se donne G = Ĝ∕H. On a donc un homomorphisme (surjectif) de groupe G^λ↦→G de noyau H = Kerλ. On appellera “extension de fibré principal P = P(M,G) à un fibré de groupe structural ^
G” la donnée d’un fibré principal  ^
P = ^
P(M,^
G) et d’un homomorphisme de fibré ^λ : P^↦→P qui soit compatible avec les actions respectives de G et G^ et avec l’homomorphisme de groupe λ ; en d’autres termes, ^λ doit préserver les fibres (c’est un homomorphisme de fibré) et être tel que

^λ(^z^k) = zk  o`u ^z ∈ P^,^k ∈ ^G, z = ^λ(z) et k = λ (^k )
L’existence d’une ou de plusieurs extensions correspondant à une situation donnée (c’est à dire le fibré P, le groupe G, etc ) dépend bien entendu de la situation considérée

Le problème de l’extension d’un fibré principal (passage de G à ^G avec G = G^∕H) peut être décrit de façon imagée par la figure suivante (3.18).



Figure 3.18: Extension d’un fibré principal


On voit que P^ est aussi un H-fibré principal au dessus de P (voir également la discussion menée en section 3.3.4) et que P ~^P∕H.

Structures spinorielles

Dans le cas particulier où P = OFM désigne le fibré des repères orthonormés d’une variété riemannienne M, le groupe structural est G = SO(n) et G^ = Spin(n). On dit que la variété M est une variété spinorielle s’il existe une extension ^P = P^(M,Spin(n)). Choisir une structure spinorielle pour une variété riemannienne donnée M consiste à choisir une extension P^ (s’il en existe une). Le fibré ^P, s’il existe, est alors désigné sous le nom de fibré des repères spinoriels ou, tout simplement fibré de spin et dénoté O^FM. Dans les bons cas (“bon” signifiant qu’on peut ne pas se soucier du problème !), ^OFM existe et est unique, à isomorphisme près. Notons encore que le choix d’une structure spinorielle est tributaire du choix d’une structure riemannienne (on choisit d’abord P = P(M,SO(n)), puis ^P = ^P(M,Spin(n)), mais on doit se souvenir que deux métriques distinctes définissent des fibrés P(M,SO(n)) différents. On sait que la représentation fondamentale de SO(n) agissant sur I Rn permet de fabriquer le fibré tangent TM = P ×SO(n)I Rn comme fibré associé à P et de définir l’ensemble des champs de vecteurs ΓTM comme ensemble des sections de TM. De la même façon, la représentation fondamentale de Spin(n) agissant sur lCs avec s = 2[n∕2], [n∕2] désignant la partie entière de n∕2, permet de fabriquer le fibré des spineurs SM = ^P ×Spin(n)lCs comme fibré associé à P^ et de définir l’ensemble des champs de spineurs ΓSM comme ensemble des sections de SM.

Pour ce qui est des rappels concernant la représentation fondamentale de Spin(n), les algèbres de Clifford, etc , voir la fin du chapitre précédent.

On montre que l’existence d’une structure spinorielle, pour une variété donnée, est liée à l’annulation d’une certaine classe caractéristique (la deuxième classe de Stiefel-Whitney). Mis à part une courte remarque du même type à la fin de cette section, ce phénomène ne sera pas discuté dans le cadre de notre ouvrage.

Bosons et fermions

En physique théorique, on montre que, dans le cadre de la théorie quantique des champs, et en dimension égale à 4, les particules obéissant à une statistique de Fermi-Dirac (les fermions) sont des particules de spin demi-entier, alors que celles obéissant à une statistique de Bose-Einstein (les bosons) sont des particules de spin entier. Nous n’expliquerons pas ici la signification de ce résultat célèbre (le théorème spin-statistique) puisque nous n’aborderons pas la théorie quantique des champs dans le cadre de cet ouvrage. Cependant, le résultat en question (qui n’est vraiment bien compris et démontré qu’en dimension 4) nous permet d’introduire la terminologie suivante en dimension quelconque : nous dirons qu’un champ est un champ bosonique s’il s’agit d’une section d’un fibré vectoriel associable au fibré des repères orthonormés d’une variété riemannienne M ; nous dirons que c’est un champ fermionique s’il s’agit d’une section d’un fibré vectoriel associable au fibré des repères spinoriels d’une variété riemannienne M, qui soit telle que la représentation correspondante (celle qui définit le fibré associé) soit une représentation de Spin(n) qui ne puisse pas être considérée comme une représentation du groupe SO(n) mais seulement comme une représentation de Spin(n).

Notons que, bien que moins proche de notre intuition, les champs spinoriels (sections de SM) sont plus “fondamentaux” que les champs vectoriels (sections de TM). Ceci est déjà évident au niveau de la théorie des représentations de SU(2) : on peut construire n’importe quelle représentation de ce groupe à partir de la fondamentale (qui est spinorielle ). Cette dernière est de dimension 2 et correspond physiquement à ce qu’on appelle un champ de spin 12. Par ailleurs, il est facile de voir qu’on peut construire un champ de vecteurs à partir de (deux) champs de spineurs, mais pas le contraire

Structure quarkique

Nous venons de discuter le cas particulier de G = SO(n) = Spin(n)Z Z2 mais nous aurions pu également considérer le cas de fibrés avec groupe structural G = SU(3)Z Z3 : le fait qu’il soit, ou non, possible, de définir des “champs de quarks” (associés à la représentation fondamentale de SU(3), ou plus généralement des champs associés à des représentations dont la trialité est différente de zéro) pour une variété M considérée comme base d’un fibré principal P(M,SU(3)Z Z3) n’est pas quelque chose d’automatique. On pourrait alors parler de “structure quarkique” !

Structure encordée

Il ne faudrait pas croire que le groupe H, tel que G = G^∕H dont il a été question dans ce chapitre consacré aux extensions d’espaces fibrés soit nécessairement discret. C’est ainsi qu’en théorie des cordes, la variété M est remplacée par LM (le “loopspace” de M), c’est à dire l’ensemble des applications de S1 dans M, G est, de la même façon remplacé par LG et P par LP. L’ensemble LG est naturellement un groupe (de dimension infinie) et LP est fibré en LG au dessus de LM. Dans ce cas, toutefois, ce ne sont pas tant les représentations de LG qui nous intéressent, mais celles d’une extension centrale L^G de LG (on a Lie(^LG) = Lie(LG) I R). Dans ce cas, H = U(1) et la question se pose de savoir si LP peut être étendu à un fibré ^
LP de groupe structural ^
LG. Là encore, l’existence n’est pas assurée, et, en cas d’existence, l’unicité non plus. Lorsque ^LP existe, on dit que le fibré en boucles LP possède une structure encordée (“a string structure for a loop bundle” ).

Interprétation cohomologique

L’existence et l’unicité (ou non) des extensions de fibrés peuvent se décrire de façon cohomologique. Cette interprétation dépasse le cadre que nous nous sommes fixés. Mentionnons seulement que l’existence de ^P peut être lié à l’annulation d’une certaine classe de cohomologie appartenant à H2(M,H). Dans le cas des structures spinorielles, H = Z Z 2 et la classe en question, dont l’annulation fournit une condition nécessaire et suffisante à l’existence de ^
P, s’appelle deuxième classe de Stiefel-Whitney . Dans le cas des structures encordées, il faut considérer H2(LM,U(1)) puisque LM est la base du fibré considéré, ce groupe de cohomologie (de LM) peut alors être relié à H3(M, Z Z) et ceci est une autre histoire.

3.5.2 Quotient (passage de G à K avec K ~ G|H, H sous-groupe distingué de G)

On part de P = P(M,G), on se choisit un sous-groupe distingué H de G et on veut remplacer P par Q = Q(M,K), avec K = G|H. Cette opération est, en un sens, inverse de celle précédemment considérée. La méthode est simple puisqu’il s’agit de “diviser” P par H en considérant l’ensemble quotient Q = P∕H où l’action de H sur P est obtenue par restriction de celle de G. Il est évident que ce type de changement de groupe structural n’offre aucune difficulté, contrairement à la situation inverse décrite au paragraphe précédent. Il faut évidemment veiller à ce que H soit distingué dans G, de façon à ce que le quotient G|H soit bien un groupe. Nous n’en dirons pas plus sur ce sujet puisque la discussion résulte simplement des analyses déjà effectuées dans les sections précédentes. En particulier, P est un H-fibré principal au dessus du fibré quotient Q, lequel se trouve être, également, dans ce cas particulier, un fibré principal.